lundi 15 janvier 2018

Le crime de Paragon Walk

Auteur : Anne PERRY
Editeur : 10/18
Parution : 5 décembre 2002
Nombre de pages : 320








Un crime sordide vient troubler la quiétude huppée de Paragon Walk. Tandis que l'inspecteur Pitt, chargé de l'affaire, se heurte à l'hostilité et au mutisme des résidents du quartier, son épouse Charlotte, assistée de sa sœur Emily, la charmante Lady Ashworth, ne se laisse pas intimider par cette omerta de classe. De garden-parties en soirées, elles font tomber un à un les masques de l'élite. Les façades respectables de Paragon Walk se lézarderont peu à peu pour exposer à cet infaillible trio de détectives leurs inavouables secrets et mensonges.
















Ce que j'en ai pensé


C'est mon 3e roman de cette collection et je l'ai encore plus apprécié que les deux premiers.

Pour resituer l'histoire, nous sommes à Londres, dans les années 1880. Charlotte et Thomas Pitt, qui se sont rencontrés dans le premier tome, forment un couple plutôt atypique, puisqu'elle est issue de la grande bourgeoisie, et qu'il n'est qu'un simple inspecteur de police, ce qui signifie, pour les critères de l'époque, qu'elle s'est mariée bien en-dessous de sa classe sociale. 

Mais Charlotte, féministe avant l'heure, curieuse de tout, et un peu trop franche par rapport aux exigences de bienséance de l'Angleterre victorienne, se moque bien de ces considérations. Elle est heureuse dans son couple, malgré le peu de moyens financiers dont ils disposent et les privations que cela engendre - ce qui représente un changement radical par rapport à sa vie d'avant -, et n'a de cesse d'aider et d'épauler son mari dans ses enquêtes, grâce notamment aux facilités qu'elle rencontre, de par sa naissance, pour côtoyer la bonne société, là où un policier se heurte la plupart du temps à un mutisme de classe.

D'autant plus que sa sœur Emily, elle, a fait un très bon mariage et est devenue Lady Ashworth, ce qui permet à Charlotte de continuer à fréquenter la "bonne" société londonienne alors que, normalement, elle n'en fait plus partie.

Et c'est d'autant plus vrai dans ce tome, où le meurtre perpétré au début de l'histoire a lieu dans la rue où habite Emily : Paragon Walk. La victime, une jeune fille de dix-sept ans, qui a été violée puis poignardée, est la jeune sœur d'un des voisins d'Emily. Ce meurtre choque bien sûr tout le quartier, mais c'est surtout le viol qui fait parler les gens, car la pauvre Fanny - la victime - était complètement innocente et naïve, aux dires de ses proches et en tout cas, pas du tout le genre à aguicher les hommes, même involontairement.

Ce qui n'empêchera pas certaines mauvaises langues d'aller insinuer que si elle a été violée, c'est qu'elle a fait quelque chose pour, car, c'est bien connu, il ne peut rien vous arriver de tel si vous êtes une jeune fille comme il faut. Et à travers ces propos, on reconnaît là toute l'hypocrisie et les préjugés de la société pudibonde et bien-pensante de cette époque (quoi que depuis, les mentalités n'aient pas tant évolué que ça à ce sujet, hélas).  

L'enquête de Thomas piétinant, Charlotte décide de lui donner un coup de main, tout en prudence et discrétion, bien sûr, en s'appuyant sur son lien de parenté avec Emily. Elle se met donc à la fréquenter assidûment, et tantôt en organisant des réceptions, tantôt en se rendant chez les uns et les autres pour des soirées ou de simples visites de courtoisie, elles mènent toutes les deux leurs propres investigations. 

Je ne voudrais pas donner l'impression que Charlotte profite de l'affection et de l'hospitalité de sa sœur à son insu pour arriver à ses fins. Les deux sœurs sont totalement complices là-dessus, et Emily est d'autant plus motivée à trouver le coupable que son mari fait partie des suspects au même titre que tous les hommes de la rue, étant donné qu'il n'a pas été capable de donner un alibi pour l'heure du meurtre.

Ce que j'aime le plus, dans ce genre d'enquêtes, c'est la galerie de personnages que l'on ne manque pas de rencontrer. Et là, pour le coup, on est servi ! Il y a de tout : du plus sympathique au plus odieux, la palme de l'aigreur et de la méchanceté revenant au frère aîné de la victime (pas celui chez qui elle vivait mais un autre, qui habite quelques maisons plus loin).

Pour cela l'auteur est très forte ! Les personnages sont assez stéréotypés, pour certains, mais tellement bien campés que c'en est jubilatoire. Quand je pense par exemple à ces deux sœurs vieilles filles, l'une grande et maigre, l'autre petite et ronde, mais qui s'habillent pareil, j'en ai encore le sourire. Il y a aussi la veuve qui ne pense qu'aux hommes, le couple qui organise des soirées dont l'excentricité fait jaser tout le quartier, le veuf inconsolable qui s'abîme de plus en plus dans l'alcool, le séduisant célibataire, soi-disant français, dont toutes les femmes raffolent...

Et puis il y a la famille de la victime : le frère qui l'hébergeait et son épouse, une femme à la beauté stupéfiante mais également glaçante, et deux autres frères : le plus âgé, dont j'ai parlé plus haut, et le plus jeune, dont les sarcasmes et les sous-entendus malveillants aiguisent l'aversion des gens à son égard. Quant à la femme de l'aîné, elle est tellement terrorisée par ce qui se passe, qu'elle en devient presque folle.

Mais ce qui frappe le lecteur, c'est que dans cet univers-là, tout n'est qu'apparence et souci du qu'en dira-t-on. Et que quand on gratte un peu, on se rend compte que tout n'est pas joli-joli, et que tout ce beau monde est aussi corrompu et rempli de vices (voire bien plus !) que les gens des classes modestes qu'ils méprisent tant et dont ils se croient si supérieurs !

A chaque tome, l'auteur ne manque pas d'égratigner cette société et de montrer leurs faces cachées, mais j'ai trouvé que c'était encore plus vrai dans celui-ci. Le ton est grinçant et acide, et l'auteur fait bien ressortir les rancœurs et les animosités que tous essayent de cacher sous le vernis de la bienséance. Cette ambiance d'hypocrisie est vraiment très bien rendue, avec les dames en belles robes qui ne se soucient que de leurs toilettes, du qu'en-dira-t-on et des derniers potins, qui se reçoivent pour le thé et se font des amabilités à n'en plus finir alors qu'elles se détestent, se jalousent et se critiquent dès qu'elles ont le dos tourné. A quelques exceptions près, il n'y a pas un personnage pour rattraper l'autre.

Heureusement, certains personnages sont vraiment sympathiques et ramènent un peu de fraîcheur dans toutes ces comédies et ces faux-semblants. Je pense ici à la tante Vespasia, qui est la tante du mari d'Emily, et qui est en vacances chez eux. Elle est d'une telle franchise et d'une telle lucidité sur sa propre classe sociale et sur les gens en général (y compris elle-même) que cela procure comme un souffle d'air frais en même temps qu'un sentiment de réconfort. On se dit : "Enfin un personnage honnête, qui ne vit pas dans le mensonge et les apparences, et qui dit tout haut ce que l'on pense si fort". De plus, elle est un très bon juge de la nature humaine et est capable de reconnaître les qualités des gens au-delà de leur allure ou de leur place dans la société. Alors bien entendu, l'entente avec Charlotte sera immédiate, les deux femmes se ressemblant étonnamment, malgré la différence d'âge. Et moi, j'aurais adoré la rencontrer pour de vrai !

Au sujet de l'intrigue elle-même, elle tient la route et on ne s'ennuie jamais même si, pour moi, dans cette série, les enquêtes ne sont quasiment que des prétextes à une peinture des mœurs et des mentalités de la "bonne" société victorienne et à une galerie de portraits hauts en couleurs. Il y a des révélations, des rebondissements et même un peu de suspense et au final, si j'avais plus ou moins deviné, par déduction, l'identité du coupable, je n'avais aucune idée de son mobile et j'ai été surprise en l'apprenant. Donc, si je n'ai rien vu venir, c'est que l'auteur a bien mené sa barque, et je suis satisfaite.


Conclusion : Un 3e tome plus sombre et grinçant que les deux premiers, où l'auteur égratigne un peu plus cette "bonne" société victorienne, qui se croit supérieure à tout le monde et traite les gens des classes modestes comme des sous-êtres humains, mais qui est en réalité remplie de défauts et de vices. L'enquête, bien que ne cassant pas trois pattes à un canard, finit par aboutir en une conclusion logique et pertinente, et qui sait surprendre le lecteur. Un très bon tome donc, qui me donne envie de continuer la série. 


Ma note : 16/20



Cette lecture rentre dans le cadre des challenges :



(eh oui, je l'ai lu en 2017)



















2 commentaires:

  1. Oulàlà, ça fait longtemps que je l'ai lu, celui-là !! Je ne me souviens plus de rien.

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